De Vita - L'Etre Humain
Conférence d'ouverture du Symposium International 2010
Centre Mondial d' Etudes Humanistes
L'Etre Humain
Une nouvelle civilisation est en train de naître. Pour la première fois, une civilisation mondiale. Comme au début de toute nouvelle civilisation, celle-ci n'apparait pas clairement, ni de façon très définie. Il s'agit plutôt d'un signal fugace, d'un vent léger, d'une sensibilité qui grandit et qui a encore une saveur d'origine, presque naïve, comme le balbutiement d'un petit enfant.
Mais les femmes et les hommes courageux et sensibles savent que c'est le moment et que les prochaines années seront fondamentales. Dès à présent, ils assument la tâche d'en parler ouvertement, sans peur ni préjugés inutiles.
Tout au long des centaines de milliers d'années d'évolution humaine, de la préhistoire à nos jours , nous trouvons de nombreuses conceptions du cosmos, de l'être humain, de la nature, de la divinité. Quelques unes ont perduré durant des siècles, certaines, inutiles au niveau social et personnel ont disparu, d'autres se sont transformées. Ce n'est que dans de très peu de moments que nous trouvons des conceptions cosmologiques pour lesquelles l'existence de l'être humain concret et quotidien a occupé une position centrale.
Les différentes conceptions sur l'emplacement de l'être humain dans le cosmos ainsi que la conception même d' “être humain” ont eu d'énormes conséquences sur l'évolution et l'organisation des sociétés. Si notre intérêt est d'asseoir les bases d'une nouvelle civilisation, il sera incontournable de réviser notre conception actuelle pour qu'elle se reflète dans les modes d'être-dans-le-monde et dans les valeurs du nouveau moment historique.
A l'origine, il y a un être humain à la merci des phénomènes naturels et, immédiatement, l'image qu'il a de lui-même est celle d'un être soumis à l'environnement naturel, victime des événements et des puissantes entités qui les gouvernent.
Nous voyons souvent un être humain soumis aux lois divines, pour lesquelles il est le simple produit de volontés éloignées de son existence quotidienne. Avec le temps, les divinités s'incarnèrent en pouvoirs réels de descendance divine ou en castes cléricales. Leur unique intérêt était de maintenir le statu quo, pendant que que l'autonomie et la liberté de l'être humain étaient déjà limitées par l'image que chacun avait de sa propre existence. D'un autre côté, il est intéressant d'observer que dans quelques mythes antiques, comme dans ceux de Gilgamesh et de Prométhée par exemple, l'homme, en recherche d'une nouvelle condition, se rebelle contre les dieux.
En Orient, le Boudhisme original ne se réfère pas à des “vérités” pré-établies mais à l'existence concrète de l'être humain. En énonçant les Quatre Nobles Vérités – la souffrance, l'origine de la souffrance, la cessation de la souffrance et le chemin qui mène à la cessation de la souffrance- le Boudhisme donne lieu à un moment très intéressant pour le développement de la civilisation.
En Europe, le passage du Moyen-Age à la Renaissance constitue un exemple clair de la façon dont la conception de l'être humain a radicalement changé, donnant lieu à des conséquences sociales évidentes.
Pour le Moyen-Age chrétien, la Terre est un lieu de péché et de souffrance, une vallée de larmes dans laquelle l'humanité a été plongée par la faute d'Adam et de laquelle il est souhaitable de fuir. L'homme n'est rien et ne peut rien par lui-même. L'histoire n'est pas la mémoire des hommes, des peuples, des civilisations, mais le chemin d'expiation qui mène du péché originel à la rédemption. La Terre est immobile au centre de l'univers et l'organisation sociale concorde avec cette vision cosmologique fermée et hiérarchisée.
Les humanistes changent cette vision et à la dégradation de la nature humaine opposent une exaltation de l'homme dans sa totalité d'être physique et spirituel. A la fin du XV° siècle, l'homme acquiert une dimension religieuse et parvient à assumer une signification cosmique. Marsilo Ficino dit: “...Et le genre humain dans son ensemble tend à se transformer dans le tout, parce qu'il vit la vie du tout. C'est pourquoi Trismégiste avait raison quand il appelait l'homme un grand miracle”
Au cours des siècles suivants, le travail de Descartes produit deux conséquences: d'une part, le progrès de la science – qui étudie la nature par delà les sens – et d' autre part, le développement d'une philosophie spéculative qui recherche la “vérité” dans l'abstraction métaphysique. Dans cette période, l'idée de la passivité de la conscience face au monde se développe, conception dans laquelle l'homme est une entité qui agit en réponse aux stimuli du monde naturel. Et cela jusqu'aux courants historicistes qui privilégient l'activisme et la transformation du monde et conçoivent l'activité humaine comme étant le résultat de conditions externes à la conscience.
Aujourd'hui, ces vieux préjugés réapparaissent et essaient de s'imposer sous un nouveau déguisement, celui du néo-darwinisme social, dont les caractéristiques distinctives sont la lutte pour la survie et la sélection naturelle qui privilégie le plus fort. Dans sa version la plus récente, cette conception zoologique transposée au monde humain entretient une dialectique fondée sur les lois économiques naturelles qui autoréguleraient toute l'activité sociale. Ainsi, une fois de plus, l'être humain concret disparaît de nos yeux et se retrouve transformé en objet (une chose).
Ce n'est qu'au XX° siècle qu'Husserl et sa méthode phénoménologique, avec les philosophes de l'existence et quelques courants de l'anthropologie culturelle, tentent de récupérer le concret de l'existence humaine. Apparaissent également les premières formulations de ce que l'on appelle le “principe anthropique” dans les sciences physiques et cela constitue un moment crucial, au moins comme tentative, dans l'interprétation scientifique du monde et de l'être humain.
Nous pouvons alors observer comment on est passé d'une conception d'un être humain soumis aux lois de la nature, à un être humain qui, aujourd'hui se dresse bien au-dessus du naturel. Un déroulement historique qui va de l'explication magique et allégorique des événements à l'explication scientifique, bien que toujours prisonnière des limitations du positivisme. Il reste encore une frontière à éliminer: celle de la conception de la mort, qui s'élève comme un mur infranchissable dans le futur de tout individu.
Pour l'Humanisme Universaliste, il est essentiel -afin de poser les fondements d'une nouvelle civilisation- que la vision que l'être humain a de lui-même et de sa place dans le cosmos se modifie profondément. A la lumière d'une nouvelle connaissance, il est nécessaire de dépasser les anciennes conceptions, qui sont d'ores et déjà insoutenables et contradictoires tant pour les spécialistes de tous les domaines que pour l'homme de la rue.
En s'appuyant sur l'expérience directe que chacun de nous peut avoir de lui-même, l'Humanisme Universaliste reconnaît dans l'être humain les caractéristiques fondamentales qui l'amènent vers le futur et qui lui ont permis d'arriver jusqu'ici: l'intention permanente de dépasser la douleur et la souffrance et la possibilité qu'a la conscience de le faire avec une grande liberté.
Ce que nous pouvons observer en premier est que la conscience est active, dans le sens où elle n'est pas une espèce de réceptacle où est collecté ce qui arrive dans le monde, et où elle n'est pas non plus un simple “reflet” du monde. La conscience détient la capacité de structurer le monde selon une intention, une direction précise. Nous constatons aussi que, pour la conscience, le monde se constitue sur le mode intentionnel et non pas réflexe, qu'il est passible de transformation dans la mesure où une telle conscience “intentionnalise” sa construction.
Dans cette première observation, la conscience se découvre d'elle-même capable d'inventer le monde à partir, oui, d'éléments conditionnants -comme, par exemple, la mémoire- mais avec une capacité de futurisation que l'on ne trouve dans aucune autre espèce animale. Nous ne sommes pas en face d'un simple “animal rationnel”, qui peut socialiser et communiquer mais devant un être qui trouve en lui-même la possibilité d'imaginer et de construire le futur en humanisant le monde, c'est-à-dire, en le construisant selon son intention.
Voilà donc les deux éléments essentiels d'une conception de l'être humain qui sert de fondement pour une nouvelle civilisation: le développement de la liberté et de la temporalité.
De plus, nous devons considérer que le monde n'apparaît pas “séparé” de la conscience mais que tous deux font partie de la même structure en relation dynamique constante: alors que la conscience est constituée d'un monde en continuelle transformation, elle constitue -à son tour- le monde en le transformant.
Nous nous rendons compte que pour l'animal, l'environnement est naturel, alors que pour l'être humain, l'environnement est historico-social; l'être humain est également réflexion sur cet environnement et contribution à sa transformation ou conservation.
Cette conception n'a pas grand chose à voir avec celle de la conscience passive, soumise à une “nature” qui lui est externe. Il s'agit plutôt d'une conscience créatrice et transformatrice, ouverte au monde, active, intentionnelle et lancée vers le futur. Dans ce sens, si nous devons parler de nature pour l'homme, nous parlerons de changement et de transformation.
Il est certain que le monde de l'homme primitif, du Moyen-Age ou simplement du siècle passé n'est pas le même que celui de l'homme actuel. La transformation du monde arrive à chaque instant et de façon toujours évolutive et les théories selon lesquelles les “lois naturelles” de l'histoire ou de l'économie imposent un schéma de comportement dans une espèce de darwinisme social modernisé n'ont rien à voir avec l'être humain.
Nous avons vu comment la conscience constitue le monde sur la base d'une intention, en futurisant sans cesse de nouvelles possibilités. Nous comprenons maintenant aussi qu'une telle intention possède toujours une direction vers ce que nous pouvons appeler “le bonheur”. Et, quelle est l'intention vers le bonheur si ce n'est précisément le dépassement de la douleur et de la souffrance?
La douleur est ce qui fait souffrir le corps, et la science, avec son évolution millénaire, a toujours tenté de l'éliminer. C'est une direction claire, cette direction de la science, et nous ne pouvons pas nous laisser distraire par son application actuelle au service de la destruction, sans cesser d'observer qu'en elle, l'être humain a concrétisé son intention de dépassement de la douleur.
La souffrance, en revanche, se réfère au mental et à tout ce qui crée de la contradiction dans le psychisme humain. La peur du futur, l'impossibilité de choisir, le manque de liberté, la violence, le ressentiment et en définitive, l'absence d'un sens profond de la vie.
Le dépassement de la souffrance mentale n'a pas bénéficié des mêmes progrès que la science, mais les innombrables tentatives de l'être humain de donner signification à son existence sont indéniables. Nous découvrons ainsi que toutes les civilisations ont développé leurs propres grands systèmes de pensée , leurs cosmogonies, leurs mystiques dans lesquelles les êtres humains se reconnaissent personnellement et socialement.
C'est précisément dans cette tendance vers le dépassement de la souffrance que nous trouvons la capacité de la conscience à réfléchir sur elle-même et à dépasser ses propres limites. C'est dans la compréhension des limites qui la conditionnent que la conscience peut accéder aux profondeurs insondables du Mental et avoir des expériences qui vont au-delà de la mécanicité du psychisme. Des expériences qui, dans de nombreux moments de l'histoire, ont contribué de façon substantielle au progrès vers le dépassement de la souffrance et l'évolution de la conscience. De fait, malgré leur apparente inconsistance du point de vue de la pensée rationnaliste actuelle, ce sont précisément ces expériences qui ont donné sens et signification aux personnes et aux peuples.
Peut-être, notre tâche consiste-t-elle justement à poser les bases pour le nouveau saut évolutif dont l'être humain a besoin, en suivant la direction déjà tracée dans notre conscience.
Si la conscience humaine est capable de futuriser grâce à son énorme amplitude temporelle et si l'intentionnalité lui permet de projeter un sens, une signification hors d'elle-même, alors la caractéristique fondamentale de l'homme est d'être et de construire le sens du monde.
Pour conclure, je me permets de citer une phrase du livre Humaniser la Terre de Silo:
“Toi qui donnes mille noms, toi qui donnes du sens, toi qui transformes le monde...les pères de tes pères se perpétuent en toi. Tu n'es pas un bolide qui tombe mais une brillante flèche qui vole vers les cieux. Tu es le sens du monde et lorsque tu clarifies ton sens, tu illumines la terre. Je te dirai quel est le sens de ta vie ici: humaniser la Tere! Et qu'est-ce qu'humaniser la Terre? C'est dépasser la douleur et la souffrance, c'est apprendre sans limites, c'est aimer la réalité que tu construis.
Je ne peux te demander d'aller au-delà mais il ne sera pas outrageant que j'affirme: “aime la réalité que tu construis et pas même la mort n'arrêtera ton vol!”